Partager cet article

Le concept du temps dans la gestion d’un événement
I/ Introduction
Le temps est le deuxième paramètre à prendre en compte dans la gestion d’un événement à conséquences collectives, sa connaissance est également aussi complexe que celle de la notion d’espace.
II /Présentation des chronologies
Par convention on prendra en compte l’espace de temps qui s’écoule entre le moment de survenue de l’événement destructeur et le retour à la vie normale
On peut très arbitrairement diviser ce temps en plusieurs « périodes » :
–Temps zéro
C’est l’heure exacte à laquelle survient l’événement : elle est exprimée en heure le plus souvent en heure locale et plus rarement en heure GMT (Heure Moyenne De Greenwich) pour les grands phénomènes naturels (séisme en particulier), heure GMT néanmoins plus souvent utilisée que l’heure UTC (temps universel coordonné).
La précision de ce « temps zéro « dépend essentiellement de la nature des événements, de leur lieu de survenue, de l’existence de capteurs (mécaniques, électriques, hydrauliques etc.). Par exemple il sera connu à la seconde précise lors de la survenue d’un séisme grâce aux enregistrements permanents des sismographes, il en est de même pour certains des accidents industriels importants (explosions, incendies, effondrements de structures, fuite de produits toxiques etc. ..). Même précision pour les accidents sociétaux comme les attentats par explosifs, à partir d’armes à feu.
Par contre la précision est nettement moins bonne quand il s’agit d’autres phénomènes naturels (tempêtes, inondations, glissements de terrain, raz-de-marée etc.).
Cette imprécision relative est compensée par la prise en compte du temps « T-1 » qui est significatif dans de nombreux phénomènes météorologiques (alertes météo :tempêtes, inondations, chutes de neige, vague de froid ou de canicule) (1,2,3,4,5)
-Temps + 1
C’est l’heure de l’alerte (ou de l’alarme), moment où la survenue de l’événement est connue de l’environnement humain de proximité. (1)
Dans ce contexte faut-il faire une différence entre une alerte et une alarme ?
L’alarme pourrait être considérée comme la survenue d’un avertissement sonore ou visuel dont la mise en œuvre est quasiment automatique par le biais de capteurs divers et on pourrait considérer que l’alerte est la transmission de l’alarme par un moyen physique de nature variable (sonnerie, sirènes etc.). (2)
C’est donc la connaissance de la survenue d’un événement qui présente des risques de danger, il nécessite la mise en œuvre d’opérations spécifiques en particulier dans le domaine industriel.
Il existe un nombre considérable de systèmes d’alerte, de leurs objectifs, de leurs destinataires.
Cette alerte est quelque fois difficile à réaliser dans les régions où l’habitat est très dispersé mais elle doit être effectuée avec tous les moyens disponibles (téléphones, radios locales, voitures avec hautparleur …), les nouvelles possibilités des téléphones mobiles permettent dans certaines circonstances une pré- alerte ou une alerte.
-Temps + 2
C’est le moment de la mobilisation et du départ des moyens de traitement de l’événement, et de la neutralisation du risque évolutif. Il est très variable suivant la localisation du sinistre, les moyens employés (routiers, aériens).
Actuellement dans toutes les grandes villes ce temps T+2 est souvent fixé par des normes administratives pour les accidents habituels. Il en est autrement lors de grands événements destructeurs où les moyens engagés sont fonction de plans de secours existants. En effet il faut réunir des équipes particulières, des moyens particuliers, voire spécifiques, assurer le regroupement, trouver les moyens de transport adéquats (concept des colonnes de secours).
Temps + 3
C’est d’abord l’arrivée des moyens de secours sur les lieux qui va se confondre avec la prise en compte des premières mesures de sécurité (limitation du risque), estimation de l’importance des dégâts matériels et humains.
Cette étape peut être longue en fonction de la nature de l’événement, de son importance, de sa localisation, (milieux :urbain, rural, montagneux, maritime, souterrain etc.), des conditions météorologiques plus ou moins favorables (exemple de secours en mer ou en zone montagneuse).
Temps + 4
C’est ensuite la période de traitement de l’événement avec la prise en charge des victimes, des sinistrés, le rétablissement ou la réparation des infrastructures endommagées (routes, ponts, lignes électriques, téléphoniques etc.)
Période de très longue durée au cours de laquelle le nombre et la diversité des » acteurs de secours » sont importants.
La médecine de catastrophe est concernée par la prise en charge des victimes, des morts, et de la survivance des rescapés (« Enterrer les morts et nourrir les survivants, marquis de Plombal, séisme de Lisbonne, 1755). Cependant elle ne peut ignorer le rôle des autres intervenants qui vont assurer à la fois la sécurité de ses personnels, l’apport des moyens logistiques (ravitaillement, transport,). C’est à cette occasion que l’on faudrait évoquer pour ces équipes de secours le concept d’autonomie de fonctionnement.
Temps + 5
Il est constitué du retour à la vie antérieure, à la vie normale dont la durée est très variable en fonction de la nature des sinistres, de leur importance mais aussi des moyens matériels dont dispose la communauté atteinte pour faire face aux conséquences générales de ces événements , de l’aide internationale éventuelle pour les catastrophes majeures.
Temps+ 6
Il est souvent ignoré des premières équipes de secours , c’est pourtant un temps essentiel pour les populations atteintes : les recherches des causes et des responsabilités, la prise en compte à la fois du multiple traumatisme physique, psychique , économique, et des indemnisations qui seront attribuées après un temps très long.
A l’étranger comme en France, plusieurs situations dans le domaine des crises sanitaires ont été révélatrices de cet état de fait : au Japon les intoxications par des dérivés mercuriels rejetés dans mer( syndrome de Minamata à partir de 1932 ), furent scientifiquement identifiés à partir de 1959 et cette responsabilité fut « close « juridiquement en 1996 soit près de 40 ans plus tard . En Europe (Allemagne et Grande -Bretagne ce furent les malformations fœtales liées à la thalidomide à partir de 1957 , crise sanitaire majeure dont les conséquences juridiques furent établies dans certains pays 10 à 15 ans après , puis ce fut la crise sanitaire du talc Morhange .
Même lenteur lors de catastrophes industrielles (Catastrophe minière de Courrières en France en 1906 , aux Etats- Unis nombreux cas de silicose lors d’un percement de tunnel de 1927 à1932 , d’autres accidents sont trop nombreux pour être cités ((6,7,8,9).
Cette élongation temporelle s’observe également dans certaines catastrophes naturelles en France comme dans d’autres pays d’Europe :
-catastrophe d’Aberfan (pays de Galles, Royaume-Uni), effondrement d’un crassier minier sur une école, 1 seul survivant, 144 morts (octobre 1966-1967 ;

-catastrophe à Val-d’Isère (France), avalanches sur un centre de vacances, 39 morts (février 1970-198 ;


-catastrophe du plateau d’Assy (France), avalanches sur un centre sportif,72 morts(avril 1970-1980 );


– catastrophe du Grand Bornant (France), inondations d’un terrain de camping, 71 morts (juillet 1987-1997);


-catastrophe de la Faute-sur-Mer, vague de submersion marine, 29 morts( février 2010-2016).


Il en est de même pour les attentats terroristes :
-Paris (France), attentats de 1986,(1986-1992 );
-Berlin-Ouest (Allemagne), attentats de 1986, 13 morts, 291 blessés (1986- 1992 ;
– Paris (France) attentats 2015, 130 morts,413 blessés (1995-2021).
L’organisation des procédures judiciaires est souvent donnée comme justification de ces retards, justification que l’on peut considérer comme illégitime dans le domaine du traumatisme psychologique individuel comme collectif.
III/ Réflexions
L
’analyse de ce paramètre temps entraîne deux réflexions.
– Faut-il distinguer le temps, le moment de survenue d’un événement de sa durée exprimée en unités conventionnelles ? (Secondes, minutes, heures, jours, semaines, mois, années etc ).
– Quelle est la part de l’objectivité comme de la subjectivité de cette notion de durée ?
Dans le contexte des secours sa perception entre les personnes qui appellent pour une maladie ou un accident jugés graves (victime, entourage familial, professionnel, amical.) et celles qui reçoivent, et doivent intervenir : médecin traitant, sapeurs- pompiers, SAMU, est différente.
Cette discordance entre ceux qui attendent et ceux qui sont attendus a conduit à partir des années 75 à l’enregistrement systématique des appels pour répondre à tout conflit d’appréciation de cette durée souvent à l’origine de revendications judicaires. (10,11)
Ces enregistrements ont mis en évidence cette appréciation différente facile à comprendre au plan psychologique, mais ils ont révélé à fois le manque de précisions des messages de demande de secours comme quelquefois l’absence d’empathie dans leur réception pouvant entrainer une inadéquation de la réponse à la situation réelle sur le terrain.
La gestion du temps, sa perception intuitive et émotionnelle, de la différence avec celle mesurable de la durée, ont été et seront encore, (Malgré l’importance des moyens informatiques mis à la disposition des acteurs de secours et de soins et de directives précises) (12), des causes d’incidents et d’accidents aussi bien dans les situations individuelles que collectives.

« Le temps ne respecte rien de ce que l’on fait sans lui. »
Georges Bernanos (1888-1948)


Présentation graphique des paramètres de gestion


Prochaine étude : les paramètres environnementaux et sociétaux


Bibliographie
(1) www.s.tamelghaghet.free.fr/Erp/3_evacuation/message_alerte.htm
(2) https://www.ineris.fr/fr/risques/est-risque/quelques-grands-accidents-depuis-xxe-siecle
(3) https://photo.capital.fr/deux-siecles-de-catastrophes-industrielles-13482#douze-catastrophes-industrielles-de-1794-a-nos-jours-236332
(4) Catastrophe et responsabilité, M-A Descamps, Revue française de sociologie , 1972 13-3, https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1972_num_13_3_2080
(5) https://journals.openedition.org/conflits/12
(6) https://www.liberation.fr/planete/1997/11/19/allemagne-proces-des-auteurs-de-l-attentat-de-berlin-en-1986_220168/
(7) https://www.lepoint.fr/justice/un-medecin-du-samu-bientot-juge-pour-non-assistance-a-personne-en-peril-25-10-2018-2265975_2386.php
(8) De la judiciarisation des activités des sapeurs- pompiers : http://crd.ensosp.fr/doc_num.php?explnum_id=8022
(9) Evaluation de l’application du référentiel d’organisation du secours à personne et de l’aide médicale urgente
(10) https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/organisation_secours_a_personne.pdf
(11) https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2020-10/guide_methodologique_qualite_samu.pdf